Kolumne

Bonjour les dégâts

von Gilbert Casasus | April 2021
La prestation du Président de la Confédération Guy Parmelin a montré que le logiciel de la politique européenne suisse est défectueux et que son système d'exploitation est obsolète. Replié sur un nationalisme de mauvais aloi, le Conseil fédéral a dévoilé son incapacité à nouer des compromis et à rechercher le moindre consensus.

Petite précision préliminaire : cette chronique risque de provoquer quelques dégâts ; et c’est tant mieux ! Elle en fera de toute façon incommensurablement moins que ceux engendrés par la politique européenne du Conseil fédéral. Le 6 décembre 1992, la Suisse a eu son « dimanche noir », depuis le 23 avril 2021 elle a son « vendredi noir ». La prestation de Guy Parmelin à Bruxelles fait peine à voir, peine à entendre, peine à supporter. Ne s’en prendre qu’à ce seul personnage ne sert pourtant à rien, car le mal est beaucoup plus profond que celui perpétré par un voyage achevé en queue de poisson à Bruxelles.

Perte de confiance

En agissant de la manière dont il a agi, le Conseil fédéral vient ni plus ni moins de porter atteinte à la qualité de la diplomatie suisse. Il vient de la déconsidérer sur le plan international et européen. Conséquence logique et inéluctable d’une attitude plus idéologique que politique et stratégique, la parole du pays a été remise en cause par son propre exécutif. Au-delà de toutes les arguties protocolaires, les faits parlent d’eux-mêmes et le constat est affligeant : on ne laisse pas ses propres négociateurs rédiger un texte pour les trahir plus de deux ans après. Ce n’est pas acceptable, ni sur le plan professionnel, ni sur le plan moral. C’est leur faire subir non seulement une défaite qu’ils ne méritent pas, mais c’est aussi signaler au-delà des frontières que le gouvernement bernois ne fait plus confiance aux acteurs et autres artisans de son action extérieure.

Peut-être ne s’agit-il en l’occurrence que d’une phase liminaire d’un processus de démantèlement du Département des Affaires Étrangères. S’il devait être privé de ses volet et dossier européens, son chef déambulerait dans les travers et les alcôves du Palais fédéral comme une âme en peine soit, selon la définition du Larousse, comme un être en proie à l’inquiétude et au désœuvrement. On l’aura aisément compris : toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé ne serait ici pas fortuite. Ce glissement progressif du transfert d’un ministère à l’autre créerait un grave précédent, nuirait aux équilibres politiques internes et entamerait le crédit des Romands ou autres Tessinois qui ont géré le DFAE depuis plusieurs décennies.

A la fois tragique et cynique

Presque tous les partis se sont associés à cette comédie. En lieu et place d’être divine, elle est à la fois tragique et cyniquement burlesque. Face à des réactionnaires, intellectuellement retranchés dans leur mentalité du réduit, quelques socialistes et autres syndicalistes ont visiblement réinterprété à leur guise la parole de Karl Marx pour en appeler à l’union des prolétaires de tous…les cantons, à défaut de celle de « tous les pays » ! Épousant avec plus de quinze ans de retard la position social-nationaliste (à ne confondre en aucun cas avec le national-socialisme) des adversaires du projet constitutionnel de l’UE, la gauche helvétique renie aujourd’hui une son ancrage européen, son combat d’antan pour l’adhésion à l’Union européenne et s’en prend ostensiblement à « la citoyenneté européenne » qui fut acquise de haute lutte par ses amis politiques, à l’heure des pourparlers et des négociations du traité de Maastricht. Quant aux Libéraux-Radicaux, ils sont radicalement pour et radicalement contre à la fois, tout comme le Centre qui s’enfonce toujours plus dans le marais de la médiocrité.

La Suisse vient en effet d’atteindre le comble de la médiocrité de sa politique européenne. Son logiciel est en panne et son système d’exploitation n’est plus à jour. Recluse dans un nationalisme de mauvais aloi, elle a cloué au pilori deux concepts de son vocabulaire international. Inapte à signer un accord avec la Commission européenne, elle s’est éloignée de toute concorde avec l’UE. Ou pour le formuler autrement, elle a démontré son incapacité à nouer des compromis et à rechercher le moindre consensus. L’un comme l’autre de ces mots ont désormais disparu de son lexique de politique étrangère. N’aurait-il pas fallu la prévenir à temps pour éviter qu’elle les amputât ? Bien sûr que si, car aujourd’hui bonjour les dégâts !