Colombie : la paix avance, avec le soutien de l’ONU et de la Suisse

von Isolda Agazzi* | February 2024
Le cessez-le-feu avec l’ELN a été prolongé de six mois et le principal groupe armé de Colombie s’est engagé à renoncer aux enlèvements. La mise en œuvre de l’accord de paix avec les FARC – EP a connu des succès, mais le chapitre ethnique et la réforme rurale sont à la traîne. La Suisse soutient le processus et vient de coorganiser une mission de Conseil de sécurité sur place.

La Havane, 23 juin 2016: signature de l'accord de paix entre le gouvernement colombien et les FARC-EP / Photo Flickr Commons. La Havane, 23 juin 2016: signature de l'accord de paix entre le gouvernement colombien et les FARC-EP / Photo Flickr Commons.


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 Le 5 février, le gouvernement colombien et l’ELN (Ejercito de Liberacion Nacional) annonçaient une prolongation de six mois du cessez-le-feu temporaire conclu l’année passée, et l’ELN qu’il renonçait aux enlèvements, ou « rétentions à des fins économiques » comme il les appelle.

C’est précisément pour soutenir le processus de paix que le Conseil de sécurité des Nations Unies a mené une mission en Colombie du 7 au 11 février, coorganisée par la Suisse. Le but était de réaffirmer son engagement en faveur de la paix, notamment de l’Accord de paix final signé en 2016 entre le gouvernement et les FARC-EP, qui a mis fin à soixante ans de conflit armé, et le cessez-le-feu temporaire entre le gouvernement et l’ELN, un groupe marxiste qui date des années soixante.

« C’était la troisième mission du Conseil de sécurité en Colombie et la Suisse l’a coorganisée car elle est membre du Conseil et possède une expérience sur place depuis plus de vingt ans en termes de politique de paix, notamment dans le traitement du passé et la participation politique, nous déclare Karel Manrau, en charge de la Colombie à la section Conseil de sécurité du DFAE. Nous avons organisé des visites sur le terrain pour voir comment on peut réintégrer les anciens combattants avec des projets comme le déminage, ainsi que des discussions avec les différentes parties prenantes. »

Accord FARC – EP : chapitre ethnique et réforme rurale à la traîne

La Colombie est l’un des rares dossiers où les membres du Conseil de sécurité arrivent à trouver un accord et dont le pays concerné est demandeur, contrairement au Mali et au Soudan, par exemple. Le 11 janvier 2023, à la demande du gouvernement, le Conseil a élargi le mandat de la mission de vérification de l’ONU en Colombie à deux chapitres de l’accord de paix : la réforme rurale et le chapitre ethnique.

Dans plusieurs de ses rapports trimestriels sur la Colombie, le Secrétaire général de l’ONU a souligné que ces communautés, qui souffrent depuis longtemps d'exclusion et d'inégalité, continuent d'être touchées de manière disproportionnée par la violence. Quant à la réforme rurale, à savoir la redistribution des terres, le président Gustavo Petro lui-même affirmé récemment qu’elle était à la traîne. Dès lors, une partie des FARC a déclaré rapidement que les accords n’étaient pas favorables et est entrée dissidence en créant la Segunda Marquetalia en 2019. Début février, elle a accepté de négocier aussi.

Remise des armes et réintégration assez bien avancées

« La mise en œuvre de l’accord avec les FARC – EP a aussi été entachée par l’assassinat de 300 – 400 leaders sociaux (dont une partie étaient des anciens FARC) par les paramilitaires et des individus, commente Jean-Pierre Gontard, directeur adjoint de l’IUED à la retraite et facilitateur du gouvernement suisse de 1999 à 2011. Et par le fait qu’ils ne sont pas arrivés à devenir un véritable parti politique et n’ont obtenu que les cinq sièges à la chambre haute et cinq à la chambre basse qui leur avaient été promis par les accords de paix. »

En revanche, l’ancien négociateur suisse estime que la mise en œuvre de l’accord a été très bonne du point de vue de la remise des armes - ce que n’ont jamais fait les paramilitaires, qui ont fait des simulacres de désarmement en 2006, lors de leur démobilisation. Quant à la réintégration des civils, elle s’est mieux passé que prévu car 40% des guérilleros étaient des femmes et elles avaient hâte de retourner dans leurs familles et souvent de retrouver leurs enfants.

La Suisse, en-dehors de ses activités au Conseil de sécurité, continue à promouvoir le traitement du passé et la participation politique.

Cessez-le-feu avec l’ELN prolongé, mais négociations difficiles

Mais il reste les autres guérillas. En 2022, peu après son élection, le président Gustavo Petro (lui-même un ancien guérillero), a lancé le concept de « paix totale » et dit qu’il voulait négocier avec tous les groupes armés. Il a commencé avec l’ELN et la dissidence des EMC – FARC - EP et veut négocier avec la Segunda Marquetalia, qui vient d’accepter.

Aujourd’hui l’ELN est le principal groupe armé en Colombie, avec quelques 2’350 combattants, dont beaucoup de dissidents des FARC. Il est présent surtout à l’est, près de la frontière avec le Venezuela (région de Arauca) et à l’ouest, près du Pacifique (région du Choco, une jungle impénétrable).

« Il est très difficile de négocier avec l’ELN car il y a une espèce d’adhésion politique totale avec le mouvement, remarque Jean-Pierre Gontard. Il est issu de la théologie de la libération, a été dirigé par trois prêtres, dont deux Espagnols, et a eu le soutien de catholiques de gauche du monde entier . Mais il n’a pas la même unité opérationnelle et les communications entre les groupes de combattants sont de plus en plus difficiles. Leur chef militaire, Antonio Garcia, est le même depuis 25 ans et réside souvent en Allemagne. Il a écrit des poèmes qui ont été traduits en allemand. Il lui est arrivé de rencontrer des familles d’otages à Genève avant leur libération, avec l’accord de la Suisse. »

Un premier cessez-le feu avec l’ELN a été signé en août 2023. « La prolongation de six mois est une bonne surprise, continue l’expert et il semblerait que les deux fronts, occidental et oriental, l’aient accepté aussi, en plus du commandement central. Mais les enlèvements sont suspendus de manière unilatérale et temporaire, ce qui veut dire que si les négociations n’ont pas évolué, ils peuvent recommencer à enlever », précise Jean-Pierre Gontard.

Agenda en six points de l’ELN avec le gouvernement

« Grâce à la longue expérience suisse en Colombie, on nous a demandé d’être un pays observateur dans les négociations entre l’ELN et le gouvernement et pays garant des négociations entre le gouvernement et les EMC – FARC – EP », se réjouit Karel Manrau.

Le 10 mars 2023, l’ELN et le gouvernement ont adopté un agenda en six points qui prévoit la participation de la société civile à la construction de la paix, la démocratie et la transformation. « L’ELN voit que l’accord de paix avec les FARC – EP n’est pas complètement mis en œuvre et il ne veut pas faire pareil. Ils veulent des garanties », relève Nicolas Sion, de l’ONG suisse Fight for Humanity, qui accompagne le processus de paix avec l’ELN sur le thème du genre et de l’environnement.

Dans cet agenda marqué à gauche, l’ELN s’est mis d’accord avec le gouvernement pour discuter de la protection de l’environnement, l’extraction minière, la gestion des ressources, les droits des paysans, la restitution des terres - en somme du modèle économique en général. Il veut un processus de paix aussi inclusif que possible avec la participation de la société civile et des femmes.

« Tous les groupes armés doivent cesser leurs activités »

"Nous saluons la prolongation du cessez-le-feu avec l'ELN, mais il est urgent que tous les groupes armés illégaux cessent leurs actions violentes de manière multilatérale. Le Congrès de la République doit approuver le cadre juridique pour le démantèlement de ces structures criminelles, en consultation avec la Commission nationale des garanties de sécurité (CNGS - Comisión de Garantias de Seguridad), et ce cadre doit respecter les normes de vérité, de justice, de réparation et de garantie de non-répétition pour les victimes et les communautés. Certaines de ces structures insistent pour être reconnues comme des structures politiques, mais nous nous y opposons parce que leurs actions sont basées sur la criminalité et les économies illicites à des fins de profit individuel", déclare Soraya Gutiérrez du CAJAR.

Ce collectif d'avocats de Bogota surveille la mise en œuvre de l'accord général de paix et les négociations politiques et juridiques actuellement menées par le gouvernement du président Gustavo Petro. "Si l'on ne progresse pas vers une paix totale avec tous les groupes illégaux, en tenant compte de la nature différente de chacun d'entre eux, le conflit armé ne prendra jamais fin en Colombie", conclut la défenseure des droits humains.

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*Isolda Agazzi est une journaliste RP indépendante et autrice du site www.lignesdhorizon.net