Kolumne

Pourquoi l’euro? – Une perspective historique qui reste actuelle

de Gilles Grin | Januar 2017
Les débats historiques conduisant à la création de l’euro gardent une grande actualité et continuent d’éclairer les enjeux actuels liés à la monnaie unique européenne.

La présente contribution vise à rappeler de façon synthétique les motivations qui ont présidé à la création de l’euro dans les années 1980 et 1990. Elle s’appuie largement sur les archives privées de Jacques Delors durant sa présidence de la Commission européenne et fera l’objet d’une publication plus détaillée par la Fondation Jean Monnet.

Dans les mots de Jacques Delors, « l’union économique et monétaire [UEM] est au croisement de l’intégration économique et de l’intégration politique ». Les motivations ayant conduit à la création de l’euro sont complexes et de divers ordres : économique, politique et même géopolitique. Les motivations politiques au sens large ont joué un rôle essentiel, même si elles sont en réalité intimement entremêlées avec des facteurs économiques. Passons en revue ces diverses motivations.

1. Parachèvement du marché intérieur et avantages économiques : Jacques Delors mentionne plusieurs arguments économiques en faveur de l’UEM : approfondissement du marché intérieur, réduction des coûts de transaction, fin du risque de change, monnaie forte, stabilité des prix, baisse des taux d’intérêt, augmentation des investissements, de la compétitivité et de la croissance, lutte contre le chômage, réciprocité des devoirs et des droits entre Etats membres. Politiquement, le projet d’union monétaire prend véritablement son envol en 1988. Le débat politique ainsi que le débat académique sont animés. Ils se rejoignent dans la phase de ratification du traité de Maastricht en 1992. Avec les graves crises que connait le Système monétaire européen en 1992-93, un nouvel argument se développe, à savoir que les dévaluations compétitives représentent un risque fatal pour le marché intérieur.

2. Souveraineté et communauté de destin : le projet monétaire est un maillon crucial de l’intégration européenne qui n’a pas encore atteint le stade d’une communauté de destin. La question politique fondamentale qui se pose est de savoir si les pays européens veulent partager ensemble le même destin. Avant l’euro, ce sont les décisions de la Bundesbank allemande qui donnent le tempo en Europe. Le maintien de taux de change fixes passe soit par un alignement des partenaires de l’Allemagne sur celle-ci, soit par la construction d’une nouvelle architecture institutionnelle européenne par laquelle une monnaie unique est créée et les décisions la concernant sont européanisées. Pour François Mitterrand et Helmut Kohl, l’intégration européenne ne peut progresser sans une monnaie unique et cette dernière est en mesure de rendre le processus irréversible.

3. Une étape dans le processus d’intégration : l’UEM ouvre une nouvelle page de l’histoire communautaire. La question du parallélisme dans la mise en place de l’union monétaire, de l’union économique et de l’union politique se pose, tout comme celle de leur contenu. L’union monétaire se distingue par une architecture institutionnelle de type fédéral et sectoriel.

4. Dimension mondiale : l’enjeu de la survie ou du déclin de l’Europe dans le monde apparait. La nécessité pour la Communauté de contribuer à un ordre monétaire mondial plus satisfaisant est aussi présente, tout comme le fait que l’Europe devrait lutter contre les abus américains et japonais. Grâce à une monnaie unique, elle pourrait mieux absorber les chocs externes qui la frappent. La spéculation à l’échelle mondiale, dont la force de frappe va grandissante, représente un nouvel enjeu auquel les Etats peuvent mieux tenter de faire face ensemble.

5. Réunification allemande et chute du rideau de fer : François Mitterrand et Helmut Kohl s’accordent sur le fait que la réunification allemande doit signifier un approfondissement de la construction européenne. Margaret Thatcher n’est pas d’accord. Pour elle, une alliance entre le Royaume-Uni, la France et les Etats-Unis est la seule à même de contrer l’Allemagne réunifiée. Jacques Delors estime que l’instabilité guette le continent européen. La Communauté, qui représente son seul vrai pôle de stabilité, doit de ce fait être renforcée. Cela implique qu’elle redouble d’efforts avec son projet d’UEM. Pour John Major, le successeur de Margaret Thatcher à Downing Street, l’UEM est l’obstacle à la première priorité que représente l’élargissement en direction de l’Europe centrale et orientale. Personne n’affirme que la réunification allemande et la chute du rideau de fer ont compliqué la naissance de l’euro. Au surplus, il reste deux thèses en présence. La première affirme que le projet d’union monétaire européenne était sur les rails depuis 1988 et que la réunification allemande n’est pas une condition sine qua non de la future naissance de l’euro, même si elle a pu y aider. La deuxième thèse au contraire affirme que sans le choc extraordinaire que représente la réunification allemande, l’euro aurait très bien pu ne pas exister.

Une génération plus tard, les débats historiques que nous avons évoqués gardent une étonnante actualité et peuvent assurément offrir la base d’un plaidoyer renouvelé en faveur de l’euro.

Gilles Grin est docteur en relations internationales, directeur de la Fondation Jean Monnet pour l’Europe et chargé de cours à l’Université de Lausanne.