La communauté scientifique en manque de logique européenne

von Gilbert Casasus | Februar 2022
Lancée par des scientifiques, la campagne "Stick to Science" pour arrimer la recherche britannique et suisse au programme « Horizon Europe » rate l’objectif qu’elle s’est donné. Elle risque même d’approfondir et non de combler les divisions entre Européens.   

Suisse et Grande-Bretagne, leur attitude commune ne date pas d’hier. Elle remonte même au célèbre discours, pas si européen que cela, de Winston Churchill, le 19 septembre 1946 dans l’aula de l’Université de Zurich. La concordance de vue entre le Royaume-Uni et la Confédération helvétique ne s’est pas démentie au fil des années. Leurs politiques européennes s’inspirent largement l’une de l’autre et se conjuguent au mode de la méfiance, voire de la défiance. Ni Berne, ni Londres n’aiment l’Europe et leurs décisions quasiment simultanées de mettre en œuvre le Brexit et de ne pas signer l’accord-cadre ne doivent rien au hasard. La Grande-Bretagne et la Suisse ont sans cesse exprimé leurs réticences face à une construction européenne qui n’a jamais véritablement éveillé en eux la moindre sympathie, voire, plus grave, la moindre compréhension.

Lancée le 8 février dernier, l’initiative anglo-suisse « Stick to Science » répond à cette même et singulière logique anti-européenne. Appelant « à une collaboration ouverte et sans obstacle entre les acteurs européens de la recherche et de l’innovation, qui partagent tous les mêmes valeurs », elle omet de préciser que les deux États concernés n’en tiennent volontairement plus compte. Revendiquant « un traitement exceptionnel pour la recherche et l’innovation… dans l’intérêt de la société dans son ensemble », elle oublie ostensiblement de préciser que la Grande-Bretagne et la Suisse ont unilatéralement et, en toute connaissance de cause, porté préjudice à leurs chercheurs en particulier et, plus généralement, à « l’intérêt de la société dans son ensemble ».

Dénoncer les responsables là où ils se trouvent

Pompiers pyromanes déclenchant leur propre incendie pour accuser dans un second temps les fauteurs de trouble, la Grande-Bretagne et la Suisse n’ont qu’à s’en prendre à elles-mêmes. Et si leurs chercheurs et autres universitaires se présentent dorénavant et à juste titre comme des victimes, faut-il alors qu’ils dénoncent les responsables là où ils se trouvent : non dans les travées du siège bruxellois de la Commission européenne, mais dans celles du 10 Downing Street et du Palais fédéral. Par manque d’expérience politique, les signataires de l’initiative ne se réfèrent que trop peu au vieil adage selon lequel toute décision repose d’abord sur « l’analyse concrète d’une situation concrète ». Sans lui point de salut, sans son application pas la moindre chance de revenir en arrière. Constat affligeant à bien des égards, même les plus férus de science ne sont pas à l’abri d’erreurs de jugement qui les ont conduits, dans le cas présent, à se tromper d’adversaire.

À première vue naïf, le comportement britannique et suisse l’est beaucoup moins qu’il ne l’est de prime abord. Il a surtout pour intention de diviser les Européens entre eux, de plaider sous le couvert d’une cause apparemment juste pour les intérêts nationaux de chacun et surtout à ressusciter la philosophie libre-échangiste de l’AELE. À l’heure d’une plus grande mutualisation des politiques de l’Union européenne, Londres et Berne ont choisi le chemin inverse. Avocats de « la compétitivité stratégique… avec les partenaires les plus proches de l’UE », ils refusent d’admettre l’essentiel, à savoir respecter de règles du jeu de l’Europe des vingt-sept dont ils ont désormais décidé de s’exonérer par eux-mêmes.

D’abord les questions institutionnelles

Si nul ne peut prédire à l’heure actuelle les chances de succès de « Stick to Science », celles-ci demeurent toutefois limitées. Devant d’abord franchir les étapes institutionnelles et les procédures de vote de l’Union européenne, cette initiative risque de susciter quelque animosité auprès de plusieurs États membres. Si certains pays frontaliers de la Suisse l’auraient assurée de leur soutien, d’autres ont immédiatement manifesté leurs plus vives réticences, considérant à l’image de la Ministre française de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, Frédérique Vidal, que « les obstacles politiques doivent être levés avant que la Suisse et le Royaume-Uni puissent s'associer à Horizon Europe ». Énonçant à tour de rôle la question du règlement de la frontière irlandaise avec le Royaume-Uni et « la dimension globale des relations entre la Suisse et l’UE », la ministre française a très vite adressé une fin de non-recevoir à la demande commune du gouvernement britannique et du Conseil fédéral.

La proximité idéologique et anti-européenne de Boris Johnson et de Guy Parmelin n’ayant, de surcroît, rien arrangé à l’affaire, l’issue de ce dossier restera vraisemblablement sans lendemain. D’autant que sous sa présidence du Conseil européen et par la réélection plausible d’Emmanuel Macron au poste de président de la République, la France, à l’exemple d’autres pays, ne sent aujourd’hui nullement obligée de faire le moindre cadeau, ni à la Grande-Bretagne, ni à la Suisse.