Lesetipp

Fin du régime et sauvetage de la ville de Vichy

von Daniel Brühlmeier | Mars 2021
Walter Stucki est l’une des gloires de la diplomatie suisse. Il fut un proche et un critique de Pétain, comme le rappellent ses mémoires sur la fin de Vichy de nouveau publiées. La lecture est très utile malgré plusieurs publications déjà consacrées au travail du diplomate.

Les Éditions La Baconnière reproduisent leur traduction française du livre de Walter Stucki « Von Pétain zur vierten Republik: Vichy 1944 » de 1947 (même année pour l’original allemand chez Lang à Berne). Cette nouvelle édition est encadrée d’un avant-propos de l’actuelle secrétaire d’État Livia Leu, lointaine successeur de Stucki comme représentante de la Suisse en France, et de son homologue français en Suisse, l’ambassadeur Frédéric Journès.

Marc Perrenoud contribue avec d’excellentes informations historiques qui (re)mettent beaucoup de choses à leur juste place concernant ce personnage exceptionnel de la diplomatie suisse, non seulement par sa stature, mais surtout par ses qualités et prestations (tout cela prêtait même à des calembours comme « le grand Stucki et le petit Pierre », mettant en rapport Stucki et son chef de 1945-46, le conseiller fédéral Max Petitpierre, qui était, en tout cas à ses débuts, un de ces conseillers qu’Adrian Vatter appelle dans sa typologie récente un « porteur de fardeau », un conseiller fédéral malgré lui ; les rapports des deux hommes n’étaient pas toujours en plein accord, mais marqués d’un grand respect mutuel).

 

Un Young Boys au sommet de la diplomatie mondiale

En tant que collégien gardien et membre du comité des Young Boys, puis brillant juriste et avocat, il fut l’un des plus jeunes secrétaires de département dans l’administration fédérale. Directeur de la Division du commerce (et « ministre »), puis après la guerre comme « délégué du Conseil fédéral pour les missions spéciales », Stucki était le chef suisse dans maintes négociations, notamment lors de l’Accord de Washington du 25 mai 1946. Dans sa brève intrusion en politique intérieure (conseiller national de 1935 à 1937), il créa avec « le Stuckisme » le rapprochement institutionnel de la gauche modérée et du centre, la « formule magique » bien avant la lettre. Il a eu droit à une biographie de Konrad Stamm, écrite avec verve mais souvent imprécise, qualifiant sa carrière en sous-titre de « format mondial ». Dans la « Schweizer Aussenpolitik » de Paul Widmer, il n’a, étonnamment, pas droit à un chapitre, mais tout de même à quelques longues pages mêlant louanges et critiques (mais avec pourtant une fâcheuse inexactitude : Stucki n’a jamais posé sa candidature au Conseil fédéral).

De 1938 à 1944, Stucki était représentant du Conseil fédéral en France, d’abord à Paris où il était entre autres responsable de l’installation de l’Ambassade à la rue de Grenelle, puis dès 1940 à Vichy. Stucki était toujours « un ami fervent du maréchal Pétain », et « son confident », mais jamais un admirateur inconditionnel ; il adresse, et déjà tôt, bien des critiques à Pétain. Il faut se souvenir que Pétain avait derrière lui en juillet 1940 non seulement une importante majorité de l’Assemblée nationale, mais aussi la plus grande partie de l’opinion française et qu’en même temps, l’attitude suisse envers le maréchal était souvent favorable, voire « admirative » (Perrenoud).

 

Le héros du chaud mois d’août de Vichy

Son livre débute avec la rencontre nocturne le 11 août 1944 chez un Pétain menacé qui demande à Stucki : « Je vous demande de répondre à mon appel à toute heure du jour ou de la nuit et d’assister à tout ce qui se passera », et il relate le drame de la chute et de l’arrestation, puis la déportation en Allemagne du maréchal. Il se veut témoin d’un récit, rédigé sur la base de ses notes prises au cours des événements sous forme d’un journal, et alterne avec des petits chapitres de réflexion. Il n’a qu’un but : servir la vérité, et son premier devoir était d’être absolument objectif sur cette chaude semaine d’août.

Stucki œuvre avec succès et une rare fermeté, et en ignorant souverainement le rappel en Suisse de Pilet-Golaz (qu’il détestait d’ailleurs superbement), pour préserver Vichy et sa population de la destruction et des violences, comme il avait autorisé un de ses collaborateurs, le consul suisse à Paris René Naville, qui réussit avec son collègue suédois Raoul Nordling à préserver Paris de sa destruction radicale, le fameux « Trümmerfeldbefehl » de Hitler (ceci reste associé au nom du diplomate suédois seul et il est immortalisé dans deux films mémorables, une fois par Orson Welles et une autre par André Dussollier). En négociant d’abord le départ des Allemands, puis la réconciliation entre Français, entre « l’ordre ancien et l’ordre nouveau », gagnant et gardant l’entière confiance à Vichy, il entre dans l’olympe des médiateurs. Tout au long des événements, il réussit à imposer le respect inconditionnel des Conventions de Genève et donne la meilleure image d’une neutralité active de la Suisse.

Marc Perrenoud résume bien en concluant : « Témoin actif de la fin du régime de Vichy et de la Libération de la France, le diplomate suisse Walter Stucki a rédigé le présent livre, document dont la lecture reste nécessaire, malgré les publications d’autres témoignages et d’ouvrages historiques. » La nouvelle édition, d’ailleurs richement illustrée, contient un appareil critique utile du texte de Walter Stucki qui est dû aux bons soins de Jean-Hubert Grasset, actuellement élève au département d’histoire de l’ENS.

 

Walter Stucki : Fin du régime de Vichy, Genève : Éditions la Baconnière, 2020, 384 p., CHF 29.-