Tribune

La Confédération européenne - une ancienne idée à nouveau d’actualité

von Marie Moulin* | Juni 2022
Pour faire face aux défis soulevés par la guerre en Ukraine, le président Macron a appelé de ses vœux la création d’une Communauté politique européenne le 9 mai dernier[1]. Bien conscient que l’adhésion des nouveaux pays candidats, à l’image de l’Ukraine ou de la Moldavie, ne pourrait se réaliser avant plusieurs années, il a souhaité la création de cette organisation qui aurait pour but de surmonter cet obstacle et de faire entrer ces pays dans la « famille européenne » tout en garantissant la stabilité tant du continent que de l’UE.

Emmanuel Macron a déclaré s’être inspiré de l’initiative de Confédération européenne, soumise par François Mitterrand le 31 décembre 1989, à l’occasion des traditionnels vœux au peuple français[2]. La chute du Mur de Berlin survenue un mois et demi plus tôt imposait des défis inédits à l’Europe. Quid du réveil des nationalités ? De l’OTAN et du Pacte de Varsovie ? Des frontières ? Comme aujourd’hui, le continent s’apprêtait à basculer dans l’inconnu. Une « organisation commune et permanente d’échanges, de paix et de sécurité » était donc souhaitable pour conserver l’équilibre des forces, mais pas seulement. Elle permettait à la Communauté européenne de ne pas se retrouver déstabilisée par un élargissement incontrôlé, alors même que les négociations en vue de l’approfondissement de Maastricht venaient de débuter. Aussi, elle était un moyen pour la France de conserver la main sur la scène européenne et internationale. L’unification allemande n’a rapidement plus fait de doute, faisant craindre un déséquilibre au sein du tandem franco-allemand. Pour éviter que les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) ne voient, pour des raisons géographiques et culturelles, l’Allemagne comme seul point d’ancrage en Europe, la France se devait de lui proposer une alternative plus européenne, mais aussi plus française.

Les contours de la Confédération ont rapidement été dessinés. François Mitterrand comptait en faire une association effectivement et géographiquement européenne, il en exclut donc les Etats-Unis et y inclut l’URSS de Gorbatchev. Le contenu, quant à lui, n’a pas réellement été défini, mais rien ne semblait interdit. Malgré ce manque de précision, l’idée a rapidement plu dans les PECO, notamment à Vaclav Havel, fraîchement élu à la tête de la Tchécoslovaquie. Lors d’une rencontre avec François Mitterrand, le 19 mars 1990, il a été décidé de convoquer des Assises à Prague pour donner naissance à la Confédération, en juin 1991, ce délai servant à laisser à l’unification allemande le temps de se régler et à donner un peu plus de corps au projet français.

Du 12 au 13 juin 1991, les Assises de Prague ont réuni 150 personnalités venues de tous les pays d’Europe, mais aussi du Canada, des Etats-Unis et du Japon pour réfléchir aux rôles à donner à la Confédération. Lors de ces deux journées de réflexion, un consensus s’est fait jour : cette nouvelle organisation devrait servir à réduire les disparités entre ces régions pour éviter que le clivage Est-Ouest ne se transforme en clivage pauvres-riches. Pour y parvenir, on imaginait la mise en place de réseaux de télécommunications et de transports, un accès à la culture pour tous ou encore la libre circulation des personnes. C’est donc avec un sentiment positif que se refermaient les Assises. Pourtant, les tractations n’iront pas plus loin.

Malgré le succès d’estime de Prague, certains obstacles n’ont pas pu être surmontés. Le principal d’entre eux est la volonté de François Mitterrand d’y inclure l’URSS et d’en exclure les Etats-Unis. Les PECO, tout juste libérés du joug soviétique, ne souhaitaient pas se retrouver associés à l’URSS. A contrario, ils voyaient les Etats-Unis et l’OTAN comme une garantie de sécurité à laquelle ils ne voulaient pas renoncer. De plus, à la veille de l’ouverture des Assises de Prague, François Mitterrand a déclaré que l’adhésion effective à l’UE prendrait des « dizaines d’années »[3], impensable pour les PECO qui perçurent alors la Confédération comme un moyen de les tenir à distance de l’UE. Enfin, François Mitterrand n’était pas parvenu à obtenir le soutien franc de la RFA, qui semblait préférer une participation américaine. Cette dernière s’est donc associée aux Etats-Unis pour proposer aux PECO une proposition atlantiste. Ils ont alors choisi de se détourner d’une organisation au stade embryonnaire et de prendre la direction germano-atlantiste avec la participation rassurante de l’OTAN.

Aucune association de ce type n’a plus été proposée jusqu’à l’éclatement de la guerre en Ukraine. Bien que trente ans se soient écoulés, les enjeux n’ont que très peu changé. L’adhésion est un processus très long - François Mitterrand ne s’y était pas trompé -, et il est nécessaire de proposer une alternative aux pays candidats pour préserver l’équilibre européen. Aussi, la Communauté politique européenne, à l’image de la Confédération, avec ses contours plus souples et des règles communautaires moins strictes pourrait séduire d’autres pays, à l’image de la Suisse. Peinant à parvenir à un accord avec l’UE, la création d’une telle Communauté offrirait une troisième voie, évitant ainsi les accords sectoriels dont l’Union ne veut plus, et une association trop contraignante que la Suisse redoute. Encore faudra-t-il que ce projet énoncé par Emmanuel Macron aille plus loin qu’une simple déclaration d’intention, et que les écueils rencontrés par la Confédération européenne soient aujourd’hui surmontés.

Une version plus détaillée de cet article est publié sur le sîte « Notre Europe » de l’ Institut Jacques Delors à Paris.

*Marie Moulin est doctorante en Etudes européennes à l’Université de Fribourg. Elle travaille sur la politique européenne de François Mitterrand, plus précisément sur ses relations avec la RDA et sur la Confédération européenne.

[1] MACRON Emmanuel, Discours à l’occasion de la Conférence sur l’avenir de l’Europe, 9 mai 2022

[2] MITTERRAND François, Vœux du Président de la République, 31 décembre 1989

[3] MITTERRAND François, Interview accordée à RFI, 12 juin 1991