Tribune

Une affaire européenne

von Gilbert Casasus | Januar 2023
La vice-Présidente du Parlement Européen et son conjoint ont admis avoir touché des pots-de-vin en provenance de pays arabes. Alors que la justice belge a obtenu la levée de l’immunité parlementaire de deux autres députés siégeant dans son groupe, la socialiste grecque Eva Kaili, se trouve désormais en détention provisoire. L’affaire a d’ores et déjà suscité de nombreuses réactions et, plus connue sous le nom de “Qatargate”, a semé le trouble au-delà de l’hémicycle du parlement européen de Strasbourg.

Cette affaire a déjà fait couler beaucoup d’encre. Et rien ne laisse présager que le sujet se tarira dans les semaines à venir. Le flot des commentaires ira encore bon train, tant cette ténébreuse histoire porte atteinte à la renommée d’une assemblée qui, trop longtemps, s’est crue au-dessus de tout soupçon. Immaculée conception autodéclarée des institutions européennes, le parlement de Strasbourg vient en effet d’en prendre pour son grade. Coupable pour avoir toujours voulu chercher la faute chez les autres, il est devenu la risée de tous les eurosceptiques qui se délectent à l’idée de jouer les pères la vertu de la politique.

Le « Qatargate » constitue, ni plus ni moins, le plus grand scandale que le Parlement européen doit affronter depuis sa première élection au suffrage universel direct en juin 1979. Il s’est déconsidéré lui-même, se croyant à l’abri de tous les griefs que certains observateurs aguerris n’avaient pourtant pas omis de lui adresser depuis plusieurs années. Doté d’une légitimité démocratique supérieure à celle du Conseil des ministres et a fortiori de la Commission, il s’est donné une ligne de conduite dont il a lui-même édicté les règles. Les jugeant immuables, il n’a jamais pensé à les changer. Pensant qu’elles avaient fait leurs preuves, il n’avait pas la moindre intention de les remette en cause.

Mais, tel pris qui croyait prendre, les députés européens se sont reposés sur des lauriers qui se sont fanés depuis belle lurette. Ils prennent toujours exemple sur la pression qu’ils avaient exercée en mars 1999 sur les quinze pays membres de l’époque, forçant alors « la Commission Santer » à démissionner. Celle-ci fut néanmoins accusée pour des peanuts, voire pour des affaires de favoritisme personnel. Incriminée à juste titre, la Commissaire française Édith Cresson avait en effet attribué un emploi fictif à un ami de la ville dont elle était maire. Relevant, plus ou moins de la presse people, cet épisode n’est en rien comparable avec les révélations qui il y a quelques semaines ont ébranlé le Parlement européen. Ce qui s’est déroulé en 2022 à Strasbourg est beaucoup plus grave que ce qui s’est tramé à Bruxelles en 1999. Et pourtant, aucune sanction institutionnelle n’a encore été prise en ce jour.

Parfois plus proches du portefeuille que du cœur, la droite s’est souvent retrouvée dans la ligne de mire des scandales financiers. Mais, cette fois-ci, les monnaies sonnantes et trébuchantes, versées à qui de droit par l’un ou l’autre pays arabe, semblent avoir été encaissées par d’autres formations. Aujourd’hui, c’est « l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates », soit les sociaux-démocrates européens, qui sont dans l’œil du cyclone. D’origines grecque, italienne ou belge, quelques élus ou ex-élus, dont au premier chef une vice-présidente du parlement, ont semé le trouble au sein d’un groupe parlementaire déjà mal en point. Première force politique européenne de 1979 à 1999, la gauche sociale-démocrate, en perte de vitesse depuis lors, risque d’être durement sanctionnée lors des prochaines élections prévues au printemps 2024. Au-delà de ses brebis galeuses, c’est un pilier de la construction européenne qui pourrait ainsi se fracasser au prix d’une crise interne, idéologique et culturelle qui dépasse de loin les dérives de certains de ses représentants. À l’image de leur score déplorable en France, mais aussi en Italie, les socialistes se trouvent sur une pente descendante qu’ils dévaleront d’autant plus rapidement qu’ils seront tenus pour uniques responsables de cette sinistre affaire.

Ne rejetant la faute que sur un seul parti, le monde politique européen s’affranchit toutefois trop vite de ce scandale. Appelé à accorder, dans le cas présent, son entière confiance dans l’excellent travail effectué par la justice belge, il doit se soumette à un aggiornamento qu’il a trop longtemps refusé d’opérer. C’est l’ensemble du fonctionnement du Parlement européen qui mérite d’être revu de fond en comble. Plusieurs pistes s’offrent désormais à lui. D’abord, celle de la réduction du nombre des députés (705). Elle permettrait l’émergence d’un personnel politique digne de ce nom, recruté pour son engagement européen et non pour de vils et énigmatiques choix partisans, locaux ou régionaux. Puis, comme le préconise le député macroniste Sandro Gozi (et aussi l’auteur), des listes transnationales devraient voir le jour dès 2024 . À partir de cette date, il conviendrait aussi de mettre fin à ce faux-semblant d’élection, où les sociaux- et les chrétiens-démocrates se répartissent à tour de rôle les postes pour s’assurer, chacun pendant deux ans et demi, la présidence de l’hémicycle. Mais, il y a plus urgent : que soient mieux contrôlés, voire mis fin aux lobbies internes et externes qui polluent le travail parlementaire à Strasbourg. En leur ouvrant leurs instances, l’Europe pensait bien faire. Aujourd’hui, elle se rend compte de la gravité de son erreur. Que ce scandale de corruption serve alors de leçon à d’autres organes législatifs et que les regards se portent, aussi hors de l’Union européenne, vers des pays, où la politique et la transparence financière ne font pas toujours bon ménage ; voire où quelques lobbies arrivent à faire élire l’un des leurs dans les plus hautes sphères de l’État.