Kolumne

La Suisse n’existe pas (ou plus)

von Isolda Agazzi* | Januar 2024
« Le Qatar rêve de devenir le nouveau Genève » déclarait sans ambages France 2 le 26 novembre, commentant la libération des otages israéliens enlevés par le Hamas grâce à la médiation de la minuscule monarchie pétrolière du Golfe. « Ils parlent à tout le monde », précisait la journaliste.

Contrairement à la Suisse, pourrait-on ajouter, qui semble avoir disparu des radars en matière de médiation et politique de paix, se montrant proche d’Israël comme jamais auparavant. Mais est-ce vraiment ainsi ? Ou est-elle juste en train de faire les choses autrement ?

Depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, la politique étrangère de la Confédération a été basée sur la défense du droit international en général et du droit humanitaire en particulier, en tant qu’Etat partie et même dépositaire des Conventions de Genève. Mais cette politique a profondément changé depuis cinq ans, avec la nomination d’Ignazio Cassis à la tête du Département des Affaires étrangères.

Un petit pays comme un autre

Certes, d’un point de vue juridique la Suisse est toujours neutre, comme le montre l’interdiction, toujours en vigueur, d’exporter des armes vers les pays à risques, même si le Conseil national l’a assouplie récemment (à l’exception de l’Ukraine).

Mais du point de vue de la politique de paix, il en va autrement. Celle-ci est inscrite à l’art. 54 de la constitution fédérale, qui énumère cinq objectifs de politique étrangère, dont la promotion des relations pacifiques. Le Conseil fédéral et le parlement peuvent l’interpréter plus ou moins largement et la configuration actuelle est toute autre que du temps de la conseillère fédérale Micheline Calmy- Rey.

Aujourd’hui la Suisse se rapproche des autres pays occidentaux. « On devient un nain de la politique internationale », regrette un observateur. On perd notre spécificité de garants des Conventions de Genève et du droit international. On adopte le même langage que les autres pays occidentaux, on fait de la politique en répétant qu’Israël a le droit de se défendre. Au lieu de cela on devrait aller à fond dans l’analyse juridique et insister sur le droit international et la protection des populations civiles. On se fait peut-être bien voir de la plupart des Européens et des Américains, mais on a perdu notre cohérence et la politique bâtie pendant des décennies sur le droit international. On est devenu un petit pays comme un autre.

La Suisse n’existe pas

Un sentiment décuplé depuis l’attaque lancée par le Hamas le 7 octobre et la riposte d’Israël. « La Suisse n’existe pas, pour reprendre le slogan de l’exposition universelle de Séville, plaisante Georges Martin, ex-secrétaire d’Etat adjoint jusqu’en 2016. On a eu l’idée absurde de promulguer une loi spéciale pour mettre le Hamas sur la liste des organisations terroristes. L’impact sur le terrain est nul, mais cela nous empêche de parler à cette organisation. Le Qatar a un contact avec tout le monde, nous on s’est mis hors-jeu. »

L’ancien diplomate estime que lorsqu’on fait de la politique internationale on doit rester froid, tandis que la Suisse se lance dans des réactions émotionnelles auxquelles la communauté internationale ne s’attend pas. « Au Moyen -Orient on jouait notre rôle, on avait des rapports avec le Hamas quand personne n’en avait, et cela servait les intérêts israéliens aussi. C’est intéressant que ce rôle ait été repris par le Qatar, qui a transféré des dizaines de millions de USD au Hamas pendant des années, mais qui est aussi le meilleur ami des Américains. C’est ça la politique internationale : ni morale, ni émotions ! », poursuit-il.

Sanctions autonomes

Ce changement dans la politique étrangère a commencé à se manifester avec la guerre en Ukraine. La Suisse a fait preuve d’une ligne plus proactive envers l’Occident et a montré, jusqu’à un certain point, plus d’intérêt dans les institutions défensive comme l’OTAN, afin de pallier son peu de capacité de se défendre.

« Comment voulez-vous jouer un rôle lorsque l’une des parties au conflit vous met sur la liste des parties inamicales ? réfléchit Georges Martin. On a toujours pris des sanctions, mais de manière autonome. Dans le cas de l’Ukraine, on s’est pliés à la volonté de l’UE et des Etats-Unis et les Russes l’ont très bien compris. Les seules sanctions que la Suisse est obligée de reprendre sont celles du Conseil de sécurité, toujours avec des mesures très strictes pour éviter le contournement. Avec l’Iran, par exemple, on a repris celles-ci, en les adaptant parfois ou en en laissant de côté certaines. Cela nous a permis de garder de très bons rapports et de parler à tout le monde. On aurait pu faire pareil avec la Russie et, surtout, communiquer différemment. »

Mais les temps changent et les élites, médiatiques et autres, semblent mener une campagne contre la neutralité. Pourtant il y a plusieurs interprétations de celle-ci : on peut être neutres et passifs et profiteurs ; ou neutres et très actifs, comme sous Micheline Calmy-Rey, lorsque la Suisse donnait une contribution véritable à la paix.

Position jamais vue au Conseil de sécurité

« Quand tu as une capacité limitée, il faut faire des choix, relativise un autre observateur. Je ne crois pas que la Suisse ait abandonné la médiation et la politique de paix, car elle continue à être active en Colombie, par exemple, mais elle le fait moins intensivement et a plus de peine à trouver son espace. » Ignazio Cassis y est pour quelque chose, mais il n’est pas le seul responsable. C’est aussi une conséquence des accords d’Oslo : après la guerre du Golfe en 1991,  la Suisse croyait qu’elle avait un rôle à jouer, mais il a été pris par les Norvégiens.

Toujours est-il que même à l’ONU Berne a pris des positions jamais vues auparavant. Lors du vote au Conseil de sécurité sur la résolution des Emirats Arabes Unis demandant un cessez-le-feu à Gaza, la Suisse a dit expressément qu’elle soutenait un cessez-le-feu temporaire sans porter préjudice au droit d’Israël de se défendre. Dans d’autres temps, on peut imaginer qu’elle aurait insisté d’abord sur la protection des civils et le principe de proportionnalité, qu’Israël ne respecte manifestement pas – la riposte israélienne a déjà fait plus de 22'000 morts selon le Hamas.

Tentative (échouée) du Conseil national de couper les financements à l’UNRWA

Pour ne pas parler de la décision du Conseil national de couper le financement à l’UNRWA, que le Conseil des Etats a pu contrecarrer de justesse. C’est la première fois que la Suisse siège au Conseil de sécurité, quel autre pays membre d’un organe onusien lâcherait-il l’un des siens – en l’occurrence Philippe Lazzarini, le patron de l’organisation ?

Comment se fait-il que le Conseil national  fait référence à  UN Watch, une organisation basée à Genève que le Times of Israël définit comme un groupe de pression pro-israélien, et pas l’ONU, alors que Philippe Lazzarini ne se base pas sur n’importe quelles informations et que même les Etats-Unis ont décidé de poursuivre leur financement à l’UNRWA ?

Quelle est la conséquence de cette attitude sur la crédibilité de la Suisse ? Des Palestiniens avouent leur désarroi : ils avaient confiance en notre pays, respectaient son sens des nuances, mais sa politique étrangère n’est plus lisible. Comment reconstruire cette confiance ? La Suisse ne pourra plus parler au Hamas ; les Russes sont fâchés ; les Syriens ne sont plus venus à Genève depuis longtemps. Les négociations de haut niveau pourront-elles avoir encore lieu au bout du lac ? Certes, la ville peut continuer à jouer un rôle de plateforme d’échange entre experts et négociateurs, mais seulement sous le radar.

Il y en a qui ne perdent pas tout espoir à une reprise du rôle Suisse en politique de la paix. . « Ce n’est peut-être pas définitif, on pourrait faire de nouveau appel à la Suisse, qui a souvent fait un travail de longue haleine», veut croire un autre observateur de l’ action Suisse sur le plan international. Il rappelle que dans le passé elle a laissé les périodes de crise aux autres et une fois que la poussière est retombée, elle s’est mis en marche.

Reste à savoir pour aller où. Car si les capacités sont intactes, la volonté politique l’est moins, surtout dans un pays où les mandats des ministres ne sont soumis à aucune limite de temps.

DEUTSCHE UEBERSETZUNG: La Suisse n'existe pas DE Jan 2024

 

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* Isolda Agazzi est une journaliste RP indépendante et autrice du site http://www.lignesdhorizon.net.