Kolumne

Macron en Suisse

von Gilbert Casasus | Oktober 2023
Celle effectuée en avril 2015 par son prédécesseur François Hollande se déroula trois ans après son élection. Toutefois, n’est-ce qu’après sa sixième année de mandat que l’actuel locataire de l’Élysée s’est décidé de se rendre à Berne. Le déplacement du président de la République française, par ailleurs affaibli et sous le feu des critiques en son pays, s’est fait pour le moins attendre. Et cette attente ne doit rien au hasard. Elle est au diapason d’une relation binationale qui, ces dernières années, n’a pas été au beau fixe.

Traversée par de nombreuses incompréhensions, elle a subi les contrecoups d’un double uppercut que le Conseil fédéral a asséné depuis plus de deux ans à la France. Paris n’a ni apprécié la mise à mort de l’accord-cadre en mai 2021, ni pardonné aux Suisses d’avoir acheté des F 35 américains en lieu et place de ses Rafales. Alors que l’industrie française comptait bel et bien vendre ses avions de combat à la Confédération, celle-ci vient de prendre une nouvelle décision qui risque, une fois de plus, d’envenimer les efforts de rapprochement entrepris entre les deux capitales. En signant une déclaration d’intention de rejoindre l’initiative European Sky Shields (ESSI) pour développer la défense sol-air (DSA) en Europe, le Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS) s’est rangé du côté allemand. Ce choix a fait grincer quelques dents en France. De surcroît, il est certainement resté à travers la gorge d’un gouvernement français qui n’a pas toujours vu d’un bon œil les résolutions prises par un partenaire jugé moins fiable que sa réputation ne l’aurait laissé supposer. À l’image de l’ambassadeur Frédéric Journès qui, après quatre années quitte un pays qu’il a profondément aimé, le constat s’impose de lui-même : « les deux dernières années [entre la France et la Suisse] furent très difficiles ». Par conséquent, la visite d’Emmanuel Macron, prévue à la mi-novembre, ne se présente pas sous les meilleurs augures.

Pour s’en convaincre, il suffit de s’interroger sur son calendrier. Intervenant à l’initiative personnelle d’un président de la Confédération sur le départ, la venue d’Emmanuel Macron se situe à un moment politique plutôt mal choisi. Elle est en effet prise en sandwich entre deux événements majeurs de la politique intérieure suisse. D’une part, tous les yeux seront rivés sur la nouvelle répartition des forces politiques issue des élections nationales du 22 octobre. D’autre part, tous les regards se porteront sur le remplacement d’Alain Berset au sein du Conseil fédéral. Bref, le mois de novembre de l’an 2023 n’est certainement pas le plus propice pour aborder, ici-bas, les dossiers de politique étrangère et européenne. De plus, élément peut-être moins anecdotique qu’il n’y paraît de prime abord, la nouvelle ambassadrice de France à Berne, Madame Marion Paradas, n’aura eu qu’une centaine de jours pour préparer le voyage de son président.

Mais là, n’est pas l’essentiel. Ne ménageant par leurs efforts mutuels pour réaffirmer l’excellence de leurs relations, quelque peu perturbées ces derniers temps, les deux parties en présence ne manqueront pas de souligner leur volonté commune d’élaborer des solutions adéquates pour régler leurs différends. Au-delà des formules diplomatiques, ces déclarations d’intention ne masqueront pas leurs divergences. Convaincue d’avoir été mise sur la touche depuis 2021 par la Suisse, la France aura tout loisir à lui demander des compensations. Mais les quelques accords trouvés sur les contentieux techniques, à l’exemple du paiement des assurances chômage pour les frontaliers, ne suffiront pas à dissiper les malentendus.

À nouveau, c’est le dossier européen qui retiendra toute l’attention des observateurs. Les instances fédérales renouvelleront leur demande pour que Paris abandonne son opposition rigide au retour des scientifiques suisses au sein des programmes Horizon Europe. Sur quoi la délégation française aura beau jeu de répondre que cette question relève uniquement de la Commission européenne. Idem pour les pourparlers exploratoires menés entre Berne et Bruxelles. Tout porte à croire qu’Emmanuel Macron ne sera pas très loquace à ce propos, préférant attendre la suite d’un feuilleton dont ni lui, ni d’autres ne sont plus en mesure de deviner la fin. En revanche, les interlocuteurs réaffirmeront leur engagement commun au profit de l’Ukraine, passant en outre plus ou moins volontairement sous silence la délicate question de la neutralité. De même, les deux pays auront à cœur d’insister sur la qualité de leur coopération transfrontalière. Bâle et Genève ainsi que l’arc lémanique pourraient alors faire figure de vitrine pour la coopération franco-suisse. Mais c’est la Communauté politique européenne (CPE), chère au président français, qui offrira le meilleur terrain d’entente entre les deux capitales. Berne se fera un malin plaisir d’annoncer son accord pour en faire partie. Et Paris applaudira des deux mains. Sauf que la Suisse ne la conçoit pas comme la France. Macron veut en faire un projet européen à grande échelle. La Suisse la perçoit, par contre, comme une niche, où elle continuera de se calfeutrer à l’abri de l’Union européenne. Pour en savoir plus, suite au prochain épisode ou si l’on préfère au prochain voyage… !